
> Saume solo
1er jour du Préambule – Vendredi 28 septembre 2007
Queyras Ceillaquin
Face Ouest de la Pointe de la Saume (3043 m), partie inférieure de la voie normale depuis l’Ubac de l’Aval + partie supérieure par la voie du vallon de Pra Francès et la crête de la Saume.
Refuge Le Petit Chalet (1431 m) – Quigoulet Bas (1611 m) - Bergerie d’Andrevez (2220 m) – Sommet de la Saume (3043 m) / Bivouac
Difficulté : F
Dénivelé positif : 1612 m
Durée : 4H30
8H55 – Je croise sur l’A51 à hauteur de La Brillane en direction du péage de Tallard, véritable sésame pour l’accès aux montagnes des « Alpes Latines » comme les appelle le Conseil Général des Hautes-Alpes. Le 2 litres TDI ronronne tel un léopard des neiges et Chris Rea m’emmène sur sa « Road to hell » vers le paradis du Queyras… L’épopée de la Pyrenex Chilkoot Queyras Ridgeline (PCQR) est lancée avec une pub Pyrenex, en rouge et blanc, à l’arrière de la voiture, au moyen du sac de stockage logotypé de mon duvet fraîchement expédié par le partenaire titre de cette aventure en partance.

Les préparatifs en amont de ce départ ont été tout particulièrement soignés afin d’avoir un sac à dos le plus léger possible pour cette solitaire à la Saume. Cette fois, pour ma troisième tentative, « failure is not an option » ! La rigoureuse sélection, orchestrée notamment autour du ratio poids/volume, s’est donc soldée par un sac à dos de 35 litres d’un poids total de 15 kilos. Rien que du top matos, le confort en prime…
11H27 – La voiture garée à l’Aval, le sac chargé sur le dos, c’est l’heure du départ du Refuge du Petit Chalet. Un étroit chemin s’élève en direction de Quigoulet bas. Trente minutes plus tard, je rejoins au point d’altitude 1675 m le carrefour de Quigoulet Haut et j’enjambe le torrent à l’aide du pont de rondins. L’ascension en forêt se poursuit et la limite pluie / neige se rapproche. Mon regard se porte à présent vers cette barre rocheuse qui semble interdire l’accès au Vallon des Pelouses. Le sentier chemine entre les lacets de la piste forestière du Bois Clair jusqu’à l’altitude de 1890 m, point de bifurcation pour la direction du Vallon des Pelouses. L’hiver s’annonce déjà en cette fin septembre puisque la neige fait à présent son apparition au sol et recouvre les mélèzes et autres pins sambro d’une fine dentelle blanche. La piste se redresse peu à peu pour devenir très vite un véritable mur qui m’oblige à concéder de nombreuses courtes haltes pour reprendre mon souffle. Un peu plus haut, alors que les 2000 m sont franchis, le sentier zigzague au milieu d’un petit plateau cerné sur sa droite par une somptueuse barre rocheuse. Je me souviens alors avec émotion de mon dernier passage, ici-même, accompagné de mon frère Marc, chevauchant fièrement nos VTT MBK « Aventure » en direction de la Bergerie d’Andrevez avant une descente sur Ceillac via le Belvédère de la Mourière. Une vraie première réalisée en août 1987 et probablement jamais répétée depuis notre passage en pionniers du bien nommé « Mountain Bike ». Sans le savoir, germait à cette époque de nos pérégrinations queyrassinnes à vélo ou à pied l’aventure dans laquelle je me lançais aujourd’hui. Un projet maintes fois repensé et aujourd’hui, vingt ans plus tard, à trente-sept ans passés, une envie folle de m’inscrire enfin dans le dessein, dans l’écriture, dans la composition, pas à pas, souffle à souffle, de ce parcours de crêtes qui ne pouvait que commencer par son Altesse, la pointe de La Saume, de surcroît en solo… Retraite monacale, sur ces terres du Queyras que j’aime tant et qui constituent, pour moi qui suis de nulle part, « ce pays qui est le mien ».
13H03 – J’arrive à la bifurcation Vallon des Pelouses / Crête d’Agnès. Altitude 2170 m. Lors de notre répétition hivernale, probablement vers la fin janvier 2008, ce carrefour constituera à la descente le point où il faudra rechausser les peaux ou les raquettes en direction du Pic d’Escreins avant la descente vers le Val d’Escreins et le Refuge de Basse Rua. Plus haut, après avoir traversé le torrent du Vallon des Pelouses, je rejoins la Bergerie d’Andrevez. Cette cabane aux murs de pierres et au toit de tôle est partagée en deux. L’une fermée, réservée aux bergers pour les périodes d’alpage estival, l’autre ouverte pour les randonneurs. Equipée d’un poil à bois, d’une table et d’un lit deux places avec sommier métallique s’il vous plait, cette partie est plutôt crapoteuse… Pour urgence seulement à défaut de tente ! Laissant la bergerie derrière moi et renonçant à déjeuner sur place comme attiré par le sommet, je poursuis mon ascension en obliquant à 90° droit pour franchir une sorte de petit col en direction du Vallon de Pra Francès.
13H46 – 2330 m – Je quitte la trace du sentier qui remonte vers le Belvédère de la Mourrière pour m’élever « hors piste » au rythme de 12 m par minute dans le désertique Vallon de Pra Francès avec pour ligne de mire, un pin sambro totalement nu, dont seul le tronc a subsisté. Le plafond nuageux est joueur. Il masque ou découvre à sa guise les reliefs qui m’entourent. Soudain, une vaste et généreuse percée soutenue par un puissant rayon de soleil me permet de découvrir les lignes sévères de la Crête de Pra Francès. J’entre à présent dans l’univers minéral de la haute montagne. Le manteau de neige est d’environ quinze centimètres d’épaisseur.
14H21 - L’heure d’un rapide déjeuner a sonné ! J’extirpe tout d’abord quelques victuailles de mon sac puis le petit transistor Sony que je calle rapidement sur 90.8 FM France Inter pour me tenir compagnie dans ce décor de rêve.
Très vite un frisson traverse mon corps et m’invite à étrenner ma veste PYRENEX Vintage Authentic au superbe coloris orange. L’orange des pionniers, celui des équipements Fusalp porté par les premiers sumiters français à l’Everest : Jean Afanassieff, Nicolas Jaëger et Pierre Mazeaud. Les idoles de mon enfance et le souvenir du clap cinéma le plus haut du monde retransmis sur le petit écran. Orange, la couleur des pionniers. Orange, la couleur du feu. Orange, la couleur d’une passion : celle de la montagne. Orange enfin, comme le nom de mon opérateur téléphonique auquel je pense à cet instant de pause en regardant vers la gauche la crête de la Saume qui apparaît dans le déchirement des nuages de brume. Une fois atteinte en effet, cette ligne de crête devrait me donner accès en toute théorie au réseau, histoire de pouvoir rassurer mes proches à l’aide mon téléphone mobile du bon déroulement de mon ascension solitaire.
14H58 – Je reprends l’ascension au milieu de ce dédale de caillasses recouvert d’un manteau neigeux rendant moins austère l’abrupt vallon. Cet hiver, la descente devrait être un vrai régal pour skieur, snowboarder et snowscooter… A l’altitude 2550 m, le vent commence à se lever. Au point 2630 m, j’aperçois en contrebas un vaste rocher sur lequel nous avions fait halte à l’été 1991 avec mon frère Marc, mes copains Jean-Christophe Rat et Eric Hoogenbosch ainsi que Marine, ma future femme, que je venais de rencontrer un mois plus tôt à Hyères.
Nul doute, la Saume est une montagne de souvenirs…
15H19 – 2675 m – « Un homme marche devant » moi si j’en juge par les traces fraîches laissées dans le manteau neigeux. Un chasseur ? Un randonneur ? J’ai beau regarder tout autour de moi, je ne vois personne et pourtant le manteau neigeux date d’un jour tout au plus. Les traces bifurquent plus haut sur la droite en direction d’une roche percée… Alors que je poursuis mon ascension en obliquant sur la gauche, j’aperçois non loin de la roche percée, blotti dans l’échancrure d’un petit col sans nom, un chamois qui m’observe à distance. La proie du chasseur matinal ?
16H00 – 2880 m – J’atteinds le point de connexion des crêtes de Pra Francès et de la Saume. Les nuages de brumes m’entourent à présent et le vent redouble de puissance. 50 m plus haut sur ma gauche, j’entrevois le rocher où nous nous étions arrêtés avec Frédéric Maurel le 9 mai 2004, invités au talkie-walkie à faire demi-tour par Eric Vidal et Julia Mageneau, bloqués et las de nous attendre au camp d’altitude du Belvédère de la Mourière. Pour moi aujourd’hui, l’ascension se poursuit, plus haut, vers le sommet qui cette fois m’ouvre ses portes.
16H11 – 2990 m – Dernier replat avant l’ultime ressaut et l’arête terminale du sommet. Là encore, souvenirs de bivouac sous l’une des toutes premières tentes dômes dites « igloo » avec le fréro lors de notre enchaînement estival Saume > Font Sancte en août 1989…
16H36 – 3045 m – Je suis au sommet. Une joie immense m’envahit. Après mes échecs printaniers de 1995 et 2004, hivernal de 2006, me voilà à nouveau au sommet de cette montagne que j’affectionne tout particulièrement.
Quatre heures trente d’ascension auront été nécessaires pour gravir les 1612 m qui me séparent du Refuge du Petit Chalet à l’Ubac de l’Aval.

Rapide installation du mât et de l’oriflamme Chilkoot et quelques prises de vues au retardateur ou bras tendu avant d’installer le plus rapidement possible le bivouac. Ce dernier se résume à une petite tente « Lightent 2 » de Ferrino avec matelas de Fakir composé de cailloux dans l’échancrure sommitale qui me protègera du vent. Tapis de sol et double toit sont tendus au moyen de rochers en guise de sardines. Pas d’autre solution en regard du sol…minéral. Bien vite la nuit tombe et je m’engouffre dans mon minuscule refuge de toile grise et rouge. La frontale sur la tête, j’aménage les 2,8 m2 de mon repère d’altitude. Le mini poste Sony est calé sur les ondes de France Inter. La veillée peut commencer. A l’aide de mon téléphone portable, j’appelle Marine pour la rassurer et lui faire part de ma joie à l’issue de mon ascension. Hasard du calendrier, Marine m’apprend que René Desmaison est mort ce même jour. Je repense alors aux réalisations et nombreuses premières de cette légende de l’alpinisme. Je me souviens de la lecture de certains de ses livres, « 342 heures dans les Grandes Jorasses » ou bien « Les forces de la montagne » dans lequel j’avais appris que l’un de ses tous premiers sommets avait été le pic de Rochebrune, sommet non loin d’ici, à portée de vue de la Saume et inscrit au programme de cette Pyrenex Chilkoot Queyras Ridgeline… Je suis assez surpris de mon état physique, à peine marqué par ma rapide ascension bien qu’assez lourdement chargé.
L’entraînement préalable en vélo de route, au rythme d’une sortie hebdomadaire, porte ses fruits…
19H29 - La température chute peu à peu à l’extérieur de la tente et le noir est à présent quasi-total. Après une courte station extérieure dans la brume, je m’engouffre à nouveau dans la tente pour m’y réchauffer. Le dîner est composé d’une chiffonnade de jambon d’Aoste, d’un rôti de porc Fleury Michon et d’un traditionnel hachis parmentier de Bolino… 20H00, Jacqueline Petroz annonce la nomination de Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fond Monétaire International et seulement en toute fin de journal la disparition à 77 ans de l’alpiniste René Desmaison…
21H00 – C’est beau une ville la nuit ! La brume s’est enfin levée et il m’est possible à présent de contempler, en contrebas du sommet, les lumières de Ceillac qui scintillent… A l’aplomb du col des Estronques, Dame Lune rayonne de tout son astre. Le zip de la fermeture éclair chante une dernière fois. Je rentre avec délectation dans mon sac en duvet Pyrenex Alpine 1200 flambant neuf. Mon matelas autogonflant Thermarest préserve vaguement mon dos des nombreux ressorts caillouteux du sommier défoncé qui est le mien ce vendredi soir sur la terre…

> La levée des couleurs
2ème jour du Préambule – Samedi 29 septembre 2007
Queyras Ceillaquin
Descente sur le refuge du Petit Chalet
Sommet de la Saume (3043 m) – Bergerie d’Andrevez (2220 m) – Quigoulet Bas (1611 m) – Refuge Le Petit Chalet (1431 m) / Dépôt du mousqueton « relais » CQR
Dénivelé positif : -
Dénivelé négatif : 1612 m
Durée : 2H30

07H00 – Réveil au bivouac. Je m’extirpe de mon sac de couchage pour chausser mes chaussures Assolo Summit qui ont gelé pendant la nuit. Le chaud du sac fait place à un froid mordant à l’extérieur. Le ciel est totalement dégagé et les premières lueurs du soleil viennent de derrière le Mont Viso. Autoportrait avec en arrière plan le minuscule bivouac, le sommet et l’oriflamme Chilkoot. Avec les premiers rayons du soleil, c’est la levée des couleurs sur la Saume. 360° de panorama. Le moment est rare, le silence total. Mon regard se porte à présent sur le massif des Ecrins et le Pelvoux dont j’avais réalisé la traversée un week-end de juillet avec les camarades du CAF d’Avignon. Plus à droite, le Rochebrune, sommet de jeunesse du regretté René…
07H55 – Le bivouac démonté, j’entreprends avec prudence, car sans crampons, la traversée verglacée du sommet pour rejoindre l’arrête sommitale et l’itinéraire de descente. Le vent violent m’oblige à protéger mon visage à l’aide de la capuche fourrure de ma veste Pyrenex Vintage Authentic.
08H45 – 2625 m – A mi-parcours du vallon de Pras Francès j’effectue une petite halte pour retirer la doudoune et resserrer les lacets de mes chaussures à présent dégelées.
09H16 – 2225 m – Je rejoins la jonction Vallon de Pra Francès / sentier de la Mourière. Le champ de mines est à présent derrière moi et mes chevilles vont pouvoir se reposer. Le rythme de descente est de 13 mètres / minute. 15 minutes plus tard, j’arrive à la Bergerie d’Andrevez. La descente se poursuit jusqu’à l’intersection avec l’itinéraire du Pic d’Escreins.
En 2008, après un aller-retour en hivernal à la Saume, notre itinéraire des « Sentinelles d’altitude » se poursuivra par là, pour rejoindre le Val d’Escreins et le refuge de Basse Rua. 1H15 pour avaler 800 m de dénivelé : la forme est toujours au rendez-vous.

10H00 – 1810 m – Jonction avec la piste forestière et descente par la piste afin de reconnaître l’itinéraire de descente à ski au cœur de l’hiver prochain. Très vite, je rejoins le petit pont de Quigoulet Haut et le bouillonnement du torrent. A 10H30, j’arrive au refuge du Petit Chalet et confirme mon retour au gardien.
Après un rapide passage à Ceillac pour acheter le Dauphiné et observer aux jumelles le sommet de la Saume pour tenter d’apercevoir le drapeau Chilkoot, je reprends la route vers la Provence puis Hyères où m’attendent les miens, Marine, Anouk et Dimitri.
Alors que je m’éloigne de ce Queyras que j’affectionne tant, je ne peux m’empêcher de faire dérouler dans ma tête les images de ce solo enfin réussi à la Saume…